Sans même avoir pu lire l’article en entier, j’étais troublé, anxieux, perdu. Le journal Le Monde venait de donner la parole à un fusil d’assaut AR15. Une tribune entière, rien qu’à lui. Une confession effrayante.
Le début de son monologue était épouvantable, je ne suis pas abonné au Monde, je n’ai pas accès à son entièreté. Peut-être est-ce mieux ainsi, car c’est une sournoise angoisse qui s’est introduite jusque dans mes tripes. J’espère que ce n’est qu’une impression à cause d’une mauvaise introduction mais je me suis demandé tout de même si tous les AR15 lui ressemblaient. Et pourquoi lui ? Cet article n’allait-il pas injustement « stigmatiser » l’ensemble de ses pairs ? Il parlait au nom de tous !
Je n’ai pas l’habitude d’écouter mes armes, alors je me sentais un peu coupable. Je me questionnais ; et si je les traitais mal ? Serais-je la source d’un malaise chez elles ? Risquaient-elles, comme les véhicules, de finir folles et de s’en prendre aux innocents à cause de mon méprisant silence ? Ou était-ce elles qui me traiteraient mal ?
Comprenez mon trouble : je découvrais le début de cette confession au moment même où j’allais prendre la route pour chercher mon fusil à pompe. C’était décidé, j’allais l’écouter. Mieux ! Je partagerai avec lui un moment d’intimité. Rien de plus propice que le voyage pour ouvrir les cœurs, l’occasion était idéale. Il le fallait, pour notre bien.
La route du retour était belle ; les lames du soleil fendaient son carton et caressaient l’être cracheur de mort qui s’y tapissait. Il paressait, et semblait tout à fait inerte mais le métal et le polymère, noirs ténèbres, s’enflammaient de reflets ardents.
Je doutais. Étais-je en train de commettre une folie ? Je n’y tenais plus, je pris mon courage à deux mains :
« Tu dors ? »
Ce n’était peut-être pas la meilleure façon d’entamer une conversation, mais y-en-a-t-il une bonne quand il est question de vie et de mort ? De folie, de séparation, de doute. De deux êtres qui ne se connaissent finalement pas ?
Pas de réponse.
« Tu n’as pas trop chaud ? »
J’ai immédiatement regretté cette question. Quel imbécile je fais ! Demander à un cracheur de feu s’il a trop chaud pour un doigt de soleil… Autant mettre en garde un dragon contre la brûlure d’une soupe. Je me tus, contrit.
« Que veux-tu, Homme ? »
Le saisissement manqua de me déporter dans le fossé. Il se raclait la gorge – CLAC CLAC ! – m’inspirant la plus grande peur. Sa pensée s’était coulée autour de ma gorge, comme un gros serpent qui la nouait – Gloups ! Gloups !
« Courage ! » pensais-je. Je plongeais :
«
- Je veux savoir. Savoir si tu veux faire du mal. C’est ton but, ta fonction. Tout ton être est construit par cette intention ! Alors, dis le moi, Arme.
- Que veux-tu, Homme ?
- Je sais ce que je veux ! Moi, je le sais ! Réponds moi !
- Tu le sais.
- Non ! Non je ne le sais pas ! Es-tu comme l’AR15 ?
- Oui. Je suis exactement comme l’AR15, mais je suis différent.
- Ca n’a pas de sens !
- J’ai la même volonté que l’AR15. Je n’ai pas son corps.
- Tu es un monstre Arme !
- Tu es un monstre Homme.
- C’est faux !
- C’est vrai. Tu viens de le dire.
»
Étais-je en train de faire l’inverse de ma volonté initiale ? Est-ce que j’aggravais les choses ? En voulant faire l’ange, n’étais-je pas en train de faire la bête ? Je le crois. Je voulais m’assurer que mon fusil à pompe ne ferait pas de mal, mais me voilà à l’accuser d’être un monstre ! Comment ne serait-ce pas moi à l’origine du conflit ? Ah ! Terrible culpabilité.
«
- L’AR15 est un monstre.
- Qu’a-t-il fait ?
- Eh bien, il paraît qu’il est l’arme préférée des tueurs de masse américains, le fusil semi-automatique qui est utilisé dans toutes les grandes tueries aux États-Unis !
- C’est faux. La majorité de ce type d’attaques aux Etats-Unis est faite avec des armes de poing. De plus c’est une carabine et non un fusil. J’imagine qu’il s’est fait passer pour un « fusil d’assaut » ?
- Non. Il se dit le frère civil du M16, avec des balles trois fois plus puissantes que les munitions 9 mm des anciens pistolets-mitrailleurs !
- Il a du être moqué tant de fois quand il essayait de se faire passer pour son frère qu’il a dû finir par retenir la leçon. Mais, au fond, c’est toujours le même menteur qui escroque les gens qui ne le connaissent pas. Il est normal qu’un pistolet n’ait pas des munitions aussi puissantes qu’une carabine. Moi je suis un fusil et mes munitions sont 3 fois plus puissantes que ses munitions 3 fois plus puissantes. Comme n’importe quel fusil de chasse. Les pistolets-mitrailleurs modernes ont toujours des balles de pistolets, comme du 9mm. Les armes modernes d’infanterie, comme le m16, ont des munitions moins « puissantes » qu’auparavant, pour une question de poids. Vois comme il y a des mensonges dans une phrase trop petite pour contenir la vérité. Et moi-même je prends des raccourcis.
- Mais ça ne change rien ! Il attire les tueurs de masse quand même !
- Détrompe-toi, Homme, cela change tout. On te mène dans une direction en te cachant le monde. Connais-tu, parmi ces fameuses tueries, celle de l’église de Sutherland ?
- Oui, il l’a listée ! C’était l’AR15 !
- Oui, c’était l’AR15. Mais l’AR15 deux fois. L’AR15 du tueur fou qui n’aurait pas dû avoir le droit d’en posséder si l’armée américaine avait fait son travail en signalant l’homme reconnu coupable de violence au FBI. Et c’était l’AR15 de l’ancien instructeur de la NRA qui l’a stoppé. Sans compter qu’il y a de fortes chances que des AR15, ou de leur famille, aient aussi stoppé nombre de ces tueurs puisqu’ils équipent leurs forces. Combien d’agresseurs arrêtés par des AR15 ? Il y a, au minimum, 5 fois plus de crimes empêchés que commis par une arme à feu. C’est la carabine la plus répandue en Amérique, elle est un symbole.
- Un symbole de mort !
- Un symbole de mort oui, lorsque c’est ta volonté, Homme. Pour d’autres c’est le symbole de la Liberté, de la résistance à l’oppression, de la sûreté de leurs enfants. Pourtant L’AR15 me ressemble, moi simple fusil de chasse, et connaitra peut-être l’histoire que j’ai connu en France. Jusque dans les années 90, j’étais vendu, avec des AR15, dans les supermarchés sur présentation d’une carte d’identité, l’as-tu oublié ? Et puis nous avons été interdits aux citoyens et vous avez inventé le délit de sale gueule. On appelle ça « l’apparence d’une arme automatique de guerre ». Et cette stupidité est écrite dans la loi, noir sur blanc. Que cela a-t-il changé ? Y-a-t-il moins de Kalachnikov et de couteaux dans les rues grâce à la loi qui désarme les gens honnêtes ?
- Mais on ne peut pas laisser ces armes à n’importe qui !
- Es-tu « n’importe qui », Homme ? Ta femme et tes enfants sont-ils des « n’importe qui » qui ne méritent pas que tu puisses les défendre grâce à moi ? T’es-tu jamais posé la question de savoir pourquoi on fait parler un AR15 plutôt que toi ? T’es-tu jamais posé la question de savoir pourquoi on veut te séparer de moi ? Ne serais-tu pas devenu, toi Homme plutôt que moi Arme, rien de plus que l’objet muet dont on veut la servitude volontaire ?
»
Ainsi parla mon fusil à pompe.
N’acceptez plus la propagande de ceux qui veulent vous désarmer, d’autant plus au nom de ce que vous n’êtes pas.
Comments by Ian